Une Vieille Dame Digne est une sorte de personnage type de la littérature et du théâtre français, et j’ai eu le privilège de rencontrer un bon nombre de vieilles dames ‘dignified’. Une minute! ‘Dignified’ ? Digne n’est pas l’exacte traduction de ‘dignified’, digne semble signifier quelque chose d’assez différent en français, et pourtant c’est bien la traduction habituelle.
En anglais ‘dignified’ signifie solennel et imposant, tout en apparence, en décor, en façade. Tout comme la tradition par definition célèbre des valeurs empruntées, prises à d’autres mais ne transmettant pas nécessairement grand-chose de la vie intérieure d’une personne. Ce mot reflète le type de dignité dans une société qui, lamentablement, prise le style plus que la substance, un royaume des apparences, un lieu où la surface semble si essentielle. Ainsi je connais beaucoup trop de ces gens ‘dignified’ mais spirituellement misérables qui se pavanent comme s’ils possédaient l’air que nous tous respirons, comme pétrifiés, protégés par le cocon de l’argent qu’ils n’ont pas gagné et pomponnés en conséquence.
Heureusement, je connais aussi un grand nombre de gens qui méritent bien plus le respect, véritablement nobles. Des vrais gens bons mais vêtus simplement, d’habits souvent portés voire usés. Mais autant ces personnes peuvent paraître négligées selon les critères conventionnels, autant sont-elles véritablement dignes. Car digne en français possède un sens spirituel, décrivant une personne estimable et honorable par sa sagesse, mesurée, d’un courage et d’une conviction tempérés, gratifié d’un immense registre d’intégrité, et pas un quelconque couillon ampoulé et guindé ou un grand emmerdeur public.
Une vieille? Non! Une vieille dame? Peut-être! Mais « Une vieille dame digne », alors là oui! Qui ne vit pas toujours en France même si c’est là qu’on l’a d’abord repérée. Mais un pays qui n’a pas dans sa langue de mot adéquat pour ‘digne’ doit en être plus pauvre. Bien sûr, on ne compte pas que des dames mais aussi beaucoup d’hommes nobles, bien que le mot noble ne décrive pas tout à fait les qualités humaines innées auxquelles j’aspire. De toute façon, je préfèrerai toujours un homme noble à un noble, aussi éminent soit-il.
Mais comment se fait-il que tant d’âmes lucides, tant de gens tout en personnalité et honnêteté soient si déclassés socialement, assis dans des parcs ou dans de paisibles cafés, ou encore attendant patiemment à un arrêt de bus ? Est-ce parce qu’ils ont perdu leurs illusions ou bien sont-ils fatigués? Est-ce pour ça qu’ils ne se battent pas, dépourvus d’ambition, brillants mais imprécis, laissant aux autres la bagarre, l’ascension aux ascenseurs, la chasse aux chasseurs, la quête aux quêteurs, précieux, sereins, appréciant les plaisirs simples de la vie et tout simplement trop malins pour être séduits par les dieux et demi-dieux des masses.
Considérés comme insignifiants par certains, comme des imbéciles et des bons à rien par d’autres, négligés par tous ceux qui ne sont pas de fins observateurs, pourquoi ces gens de talent n’en font-ils pas plus pour nous autres, ordinaires bécasses ? Pourquoi se cachent-ils, ou bien sommes nous trop pressés pour les remarquer, vu qu’ils ne sont pas dans la clandestinité mais manquent des acclamations qui pourraient les introniser ? Parce que c’est nous, courant, essoufflés, malades, malades d’inquiétude qui ne prenons pas le temps de la contemplation et de l’observation, pris au piège de la facilité, de l’habileté, de la rapidité, de l’anodin et de l’accessible, toujours prêts à manifester un frivole manque de rigueur dès le commencement d’un nouveau jour sur terre. Trop occupés, en d’autres mots, pour convaincre ceux qui sont vraiment dignes de sortir de leurs coquilles ou à tout le moins de nous instruire!
Vous les connaissez, n’est-ce pas ? Vous connaissez ceux dont je parle. Mais vous les ignorez, quelquefois assis juste à côté d’eux, ces authentiques meneurs du monde, ceux qui ne veulent pas manipuler et ne faire que ce que nous leur permettons, ce qui n’est vraiment pas assez. Qu’est-ce qui ne va pas, quel est le problème avec vos yeux, avec vos oreilles ? Oui, je sais, ça m’arrive aussi. C’est tout à fait moi : inattentif, centré sur moi-même, pressé, avec une propension à blâmer l’univers quand je me sens mal, puis rempli d’un espoir sentimental et imbécile qui se transforme en humiliante reptation dans des régions baptisées du nom de... prière.
Il n’y a pas d’évangile où Dieu dit : « Cessez d’être pathétiques ! », et c’est vraiment dommage, car un des premiers critères de la dignité est de ne pas s’effondrer en lâcheté magnifique. Au contraire, la dignité est la plus grande conquête de l’homme libre, incluant précisément ce réel courage et cette humble confiance que je tente de définir. En vérité, si on n’a pas de dignité on a rien. Et si de vieilles dames françaises en ont, pourquoi si peu de nous ne peuvent-ils en avoir ?
Je suppose qu’en cette matière le mot clé est : libre, ce préalable de la dignité. Car, en dépit de son appellation, une personne considérée bonne, et même une personne religieuse n’est pas libre. Pas vraiment : l’expression non-agression, les mains jointes, l’air ‘je-suis-sérieux’, le demi-sourire disant ‘je-suis-gentil’, l’inclinaison de la tête disant ‘je-suis-vulnérable’, tout ce dogme stylistique, c’est du ‘embrassez-vous’ et de l’innocence réfléchie... Comme je l’évoque ailleurs, un grand nombre de mauvaises habitudes se sont infiltré et incrusté dans des systèmes de croyance alors que les circonstances qui les ont causées ont depuis longtemps disparu. Et dans certains cas, s’y accrocher semble venir d’une tromperie quasi-criminelle, car jusqu’à maintenant le dogme semble par définition incapable de se moderniser, ses partisans trop soumis, trop dépendants pour être en mesure d’accepter les nuances, se plaignant de la dictature du relativisme et adoptant l’absolutisme jusqu’à l’absurde. Par exemple, le dernier pape se sentit libre de s’occuper du communisme parce que le communisme n’existait pas il y a quelques millénaires, ni aucun commandement disant ‘Tu ne te mêleras pas de politique’ sinon il n’aurait pas bougé le petit doigt malgré l’évidence de la misère causée par la peste rouge. Par contre, les précaires sociétés tribales confrontées au risque de disparition avaient un urgent besoin de se répéter « Croissez et multipliez », sinon l’humanité aurait disparu. Si bien que cette notion de reproduction constante se vit gravée dans la pierre. Mais aujourd’hui, l’attitude alarmante, fondée sur l’argument d’une contradiction avec le Dogme, qui interdit des moyens modernes de contrôle des naissances pouvant éviter des millions de morts-vivants engendrés par la souffrance, la faim, la maladie et destinés à un décès prématuré, est un entêtement de la plus sinistre sorte, un nouvel exemple impardonnable de la priorité donnée à la théorie sur la vérité. La sainteté de la vie soutenue par... une mort prévisible : maudits soient la certitude et l’apaisement artificiel !
Pourtant, nul besoin d’être religieux pour reconnaître qu’une fois un homme bon a foulé cette terre, un homme réel, pas un super fonctionnaire, pas un député racoleur, un homme qui se libéra des tenants de l’orthodoxie de son temps en faisant ce qui devait être fait, la chose digne*, c’est-à-dire en entreprenant un changement évangélique radical. Le nom de cette personne de chair et de sang: Jésus. Créant ce grandiose instant unique de la Chrétienté d’où put surgir la modernité. Transformant une culture de la peur, de la punition et de la vengeance promue par l’Ancien Testament en une culture de l’Amour réaliste et du Pardon du Nouveau Testament: en matière de croyances une grande et rare innovation qui ne s’est hélas pas répétée depuis. Dommage, car bon nombre de religions contemporaines ont un besoin désespéré qu’un tel homme se lève et bouleverse les moeurs une fois de plus. Car il devrait être impossible de regarder en face un enfant qui meurt, de s’éloigner et dire «Désolé, mon enfant! Je suis incapable de t’aider, mais je prierai pour toi», mais pour certains, apparemment, ça ne l’est pas... Alors qu’aller à Lourdes semblerait la voie à suivre, tout l’attirail chirurgical moderne des cliniques romaines est soudain un don du Ciel, mais pas l’usage moderne d’un morceau de latex. Cette application de faibles critères humains à deux vitesses est d’un type plus que répréhensible. De la religion comme extension de l'égotisme le plus étroit: Lourdes pour eux mais pas pour nous, Cracovie et Rome, oui, Calcutta, Botswana et Tegucigalpa, non! Incompréhensible aussi parce qu’il semble que ‘Dieu’ nous a donné un cerveau pour nous en servir correctement, pas pour être mis de côté. Dans la nature maladies et rivalités agressives maintiennent l’équilibre des espèces, empêchant qui ou quoi que ce soit d’asphyxier le paysage et éventuellement de menacer la vie elle-même. L’inventivité humaine finit par dominer beaucoup de ces obstacles biologiques, mais seulement pour perpétuer ‘Son’ action d’équilibrage de la nature, ‘Son’ travail ici, et non pour s’abrutir et se comporter d’une façon ridiculement sélective à cause d’un vieux grimoire. Franchement, à partir du moment où vous croyez en un dieu, pourquoi ne pas accepter l'idée qu’il essaye désespérément d’améliorer les choses d’ici-bas, qu’il bosse , qu'il peut évoluer avec notre temps. Accordez-lui un minimum de confiance, admettez qu'avec ces refus l’idiot c’est vous. Que sommes nous finalement, livre ou homme ?
Tout ce que ceci démontre est qu’une pensée piégée, inhibée aussi élevée soit-elle n’engendrera pas la liberté, prouvant clairement qu’une doctrine est incapable de remplacer L’Homme Digne. Qu’elle conduit à la prison pas au paradis. Que l’Homme Religieux par lui-même n’est pas libre, tout comme l’Homme Appauvri ne l’est pas, ni l’Homme Riche, ni l’Homme Criminel, ni l’Homme Oppresseur, ni l’Homme Cupide, ni l’Homme Rapace, et certainement pas l’Homme Haineux de soi-même, aspirant mais incapable de se faire face. Tous, excepté cet homme ou cette femme, cet universel Homme ou Vieille Dame Digne.
'Nous ne pouvons pas tous être pleins de dignité, dans quel monde vivrions-nous ?' est ce que chacun pense mais n’ose exprimer, en basant tout leur comportement social sur cette notion. Et naturellement, c’est un énorme souci de venir à manquer de domestiques, mais un monde sans humiliés, n’est-ce pas ce dont il s’agit, de quoi être majestueusement fier ? Digne, dirai-je… de louange de n’importe quel Dieu ?
« C’est de l’économie, imbécile ! » est un populaire mantra politique de notre époque durant les périodes électorales.
« La clé est à l’intérieur, imbécile ! » serait une bonne incitation à l’accomplissement du genre le plus personnel, le moins politique, le moins religieux qui soit.
Cette clé, mes amis, la profonde et courageuse vraie Dignité.
(Section Site: Philosophique/Politique)
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