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Essai Philosophique

TRADITION: Le noyau critique

(Tradition: The Critical Core)

 

sous-titre: Chaque homme est une nation

de

Anthony Steyning
Janvier 2006 - Inédit

Traduction de Raphaël Loison

Ecoutez ce que nous propose ce cher Billy Joel bien que nous ne soyons pas ici pour parler de Harry Truman, Doris Day, la Chine dite Rouge, Johnny Ray.  Pas même de Joseph Staline, Malenkov, Nasser ou Prokofiev. Ou de Starkwether, d’homicide et des enfants de la Thalidomide. Comme les paroles de sa chanson le suggèrent, il est vrai que, au fond, We didn’t start the Fire (Nous n’avons pas allumé l’incendie), mais avons-nous réellement essayé de l’éteindre ? La réponse est : pas vraiment.

Vous avez le droit de garder le silence mais ne vaudrait-il pas mieux engager un sérieux débat de fond sur des sujets comme emportées dans un vortex temporel, par exemple Canterbury et le Trône, L’école publique qui ne l’est pas, Jeeves, Sandhurst, la chasse au renard et ce qui reste des Joyaux de la Couronne ? Ou préférez-vous l’Académie, la corrida, la Fête de la Bière, la Biennale, le Superbowl, ou bien le plus vieux Nouvel An connu ? Ou mieux encore d’archaïques impuissances, des idoles défuntes et des commémorations obstinées et ce qu’on ne peut décrire que comme une obsession collective parallèle ? Que pensez-vous de questions comme la sacralisation de biens ou de phénomènes comme l’excision, la lapidation, la dot ou la dette d’honneur, la partition du Paradis et la planification de la vengeance d’une défaite réelle ou imaginaire, pour la différence que cela fait.

La tradition ou une histoire nationale concoctée peuvent être sournoises. De la tradition obstinée est de la tradition obsolète, transformant une certaine force dans un empêchement d'avancer qui suffit pour se faire damner. Pourtant certaines coutumes anciennes ou pour mieux dire certaines vieilles habitudes hors de propos ne doivent pas être prises à la légère. Antérieures à la modernité et aux systèmes législatifs elles s’y sont insinué et non l’inverse. Elles viennent de temps où l’existence des hommes différait radicalement de celle d’aujourd’hui, des temps où le seul sport connu était la survie et une fois qu’on l’eût bien maîtrisé on se rendit compte qu’il fallait rapidement passer à la guerre et autres formes de mort organisée afin de ne pas perdre les compétences acquises. Autrement dit, il s’agit de structures de comportements qui ont évolué sur des dizaines de milliers d’années et ne peuvent disparaître en quelques siècles, même si dans quelques domaines une interprétation plus démocratique a déjà dilué une bonne part de la vitalité de leur célébration. Car beaucoup ont compris que l’application de la coutume dans le quotidien, une cérémonie solennelle, qui fut à une époque conçue pour le bien-être et l’espérance, ou tout simplement pour des raisons esthétiques, est fondamentalement sans signification puisqu’une cérémonie n’est qu’un ersatz, une métaphore visuelle qui trop souvent a indûment développé une vie propre, parfois cruelle.

 Pire, certaines coutumes bien que moins formelles ne sont que trop souvent des tabous persistants depuis les premiers âges. Des règles tribales qui garantissent l’obéissance au prix de la damnation. A l’autre extrémité du spectre : le tout aussi grand tabou de l’ ‘autorité’ perdue, un ’échec’ dont le résultat est la ‘honte’ et la punition la perte de la ‘considération’ et du ‘rang’. Autrement dit, la perte du statut et du respect, de ce qui, une fois acquis, est généralement revêtu de symboles par leurs possesseurs comme une tentative évidente de les réserver, voir pérenniser. Hâtivement nommée tradition, rendue inébranlable et enfin imposée aux autres le plus longtemps possible. Mais comme tant d’autres antiques joyaux de la distinction, de la séparation et du repli, c’est un dangereux bagage et la cause pyromane de trop d’incendies. Ce qui fait que, dans certains quartiers, cette perte d’autorité est ressentie comme une insulte honteuse, mais, malheureusement, pas le meurtre cruel qui en résulte ou toute forme de coercition qui y mène. Ce qui est en jeu ici c’est une soumission d’une rigueur quasi-militaire, la conviction inexprimée que l’ ‘autorité’, et donc l’ ‘obéissance’ supplante le droit individuel à la vie au profit du groupe et de la hiérarchie. De même l’autorité intra-familiale, parallèle à celle de la communauté, qui fut nécessaire à la survie est devenue une abstraction fédératrice mais souvent au prix de la vie, jusqu’à devenir parfois un élément de la religion. Ainsi, de nombreux peuples qui ont su dominer leur environnement jusqu’à un certain point, restent incapables de se débarrasser de leur arsenal et de leurs méhodes archaïques qui ont permis cette domination. Désormais dirigeant ces mêmes armes dans la mauvaise direction, se visant eux-mêmes face à un grand miroir, réfractaire à l’idée de rompre le charme de leurs anciennes, leurs seules, leurs vraies batailles et victoires.

Mais vu les difficultés et l’asphyxie que provoque certaines de ces vieilles coutumes dans un contexte plus moderne, il est difficile de comprendre pourquoi certains peuples continuent de se soumettre à de tels régimes. Ce qui nous mène à une autre remarque : nous sommes clairement des créatures d’habitude, y compris de très mauvaises puisqu’en plus de nourriture et de boisson nous avons besoin de structures sociales et d’un minimum d’espace ; et même les bonnes habitudes collectées excessivement finissent par causer de gros ennuis. Car avons-nous vraiment besoin de styliser à outrance notre identité et notre ambition ? N’est-ce pas l’essence même de la haute tradition, se révélant même parfois comme une arme fatale ? Au fil du temps, que nous a-t-elle apporté sinon une désolation non désirée ? Tout ce décor païen de robes et de drapeaux, de sabres cliquetant et les frontières, les murs, les portes, les chaînes, les verrous, et l’encens en prime et d’accommodants parchemins autorisant la saisie, la détention, l'exécution : l’amère emprise de l’insécurité combinée au rapace et mâle appétit de l’homme.

De toute évidence, la première tragédie de l’homme est qu’il ne supporte pas le changement mais que la vie ne se fait pas sans évolution. C’est même une double tragédie car ce refus se trouve perpétué par la persistance de la tradition organisée et de la cérémonie rituelle. Les illusions plus que tout, mais aussi, contrairement à l’opinion courante, un attachement exagéré à un être physique ou métaphysique, peuvent très bien dissimuler un vide inhérent et même un manque prononcé de courage. Ce qui semble représenter un riche éventail de valeurs traditionnelles et une permanence peut en fait n’être que l’expression d’un esprit extrêmement appauvri et d’un manque de valeur personnelle. En particulier quand il s’agit de notre propre invention d’un univers totalement abstrait : quelque chose qui est vite devenue une sujétion royalement travestie, comme toujours soutenue par un antique témoignage. Car les édits ‘sacrés’ sont toujours antiques, n’est-ce pas ? Aussi âgés que possible pour qu’ils ne puissent être remis en cause ! De plus promettant presque toujours que le meilleur est à venir, alors attention à ne pas ébranler le chateau de cartes. Mais quel sentiment finit par créer cette sensation d’emprisonnement pire que tout le mal existant dans ce monde matériel ? Provoquant cet impardonnable gaspillage de la vraie vie immédiate, le massacre de tant de noble joie.

Q : Pourquoi les pièges prennent-ils le nom de Liberté ?

R : Parce que ce sont des pièges.

Mais alors, qui, sinon nous-mêmes, déploie ces miroirs et cette fumée dans les vestibules de la vie ?

D’autre part, on a suggéré que les traditions rapportées produisent tôt ou tard un choc de civilisations, mais ceci ne peut être qu’une incohérence puisque ceci tendrait à suggérer qu’une au moins ne l’est pas… n’est-ce pas ! Et nous ne parlons pas ici d’esthétique inoffensive, d’une expression purement artistique ou culturelle. Et bien oui, les traditions, tout comme l’essence, peuvent être dangereusement inflammables, en particulier en présence d’une étincelle. Machiavel a écrit que la tradition est une illusion et une escroquerie, sous-entendant que c’est la justice et le respect vis-à-vis de l’autre qui comptent, et pas une fausse fierté de ce que nous sommes ou possédons, pas une immaturité narcissique. Ainsi ce sujet n’est pas nouveau, mais ça vaudrait la peine de relooker l’ancien. Regardons les choses en face, la tradition semble être une addiction humaine avec laquelle nous avons appris à vivre, et qui au besoin peut être feinte pour obtenir l'effet désiré. Par example, mis à part leur rôle d’arbitrage, l’Etat et l’Eglise, deux formes de tradition particulièrement assujettissantes, ont des frontières invisibles ; mais heureusement, au XXIe siècle, il existe un immense no-man’s land entre ces deux frontières qui se recoupent où les gens normaux comme vous et moi peuvent vivre paisiblement en se contentant d’une approbation du bout des lèvres. En faisant semblant, comme on dit en langue vernaculaire. Il y a longtemps cette marge n’existait pas, on ne pouvait pas faire semblant, la vie transformée en une sorte d’insupportable corvée ; ce changement représente bien ce que la modernité nomme le progrès : ce qui nous permet d’échapper à tout contrôle, d’être maître de notre univers, de prendre en charge nos vies, d’être notre propre énigme, l’ayant écrit quelqu’un (Pascal), heure après heure, jour après jour, jusqu’au terme de nos années.

La tradition est une expression de la nostalgie et, en fin de compte la nostalgie est une expression du sentiment d'inaptitude devant la présence de quelque chose que nous reconnaissons ne plus pouvoir créer. Sachant que nation et tradition sont intimement liées et que toutes deux sont préjudiciables à notre santé, elles doivent être traitées simultanément. Dans ce contexte on peut comprendre le nationalisme comme une forme de défense, mais qui est réellement menacé ? Les nationalistes militants sont envahissants, territorialistes à la puissance 4 et, en tant que tels, souvent un danger pour nous tous. Ils ne se contentent pas de défendre un morceau de territoire mais habituellement appliquent la foi et la culture ethnique qu’ils y ont attaché. Ce système aux nobles ambitions devient alors propriété privée et procure un sentiment de protection mais aussi d’une pertinence supérieure. Mais c’est un rêve stupide car leur lutte philosophiquement répétitive et toujours violente rend inévitable qu’à un certain point ces gens deviennent le contraire du modèle qu’ils s’étaient fixé, à savoir oublié, car totalement inapproprié. Eh oui, pas tout à fait ce qu’ils projetaient, mais, encore une fois, qui a dit que ces primates possèdent même un soupçon de matière grise, intoxiqués qu’ils sont par la haine, la mort, la destruction et que les siècles se rappellent essentiellement pour avoir dressé d’énormes effigies d’eux-mêmes.

L’histoire n’est pas tendre pour ces patriotes empressés, les montrant comme des criminels amoraux, dénués d’humour et de vrais sentiments. De même que les pédophiles rôdent autour des jardins d’enfants et des troupes de scouts, meurtriers et voleurs sont des chasseurs embusqués derrière plusieurs croûtes de ‘nationality’. On doit classer second dans cette hiérarchie de la honte le considérable clergé de toute évidence crypto-fasciste qui, au Pays Basque, en Serbie, en Grèce, procura un abri à ces types et abusa de l’innocence et de la bonne foi pour faire progresser leur propre mauvaise foi. En fin de compte, dans un monde éveillé, la revendication de souveraineté est anachronique, réservée à de pauvres crétins complexés qui se servent d’un simulacre de lutte comme mode de paiement ou pour satisfaire quelque autre pulsion primaire. Comme espérer dominer avec un sale et agressif complexe d’infériorité et une âme de parasite. De toute façon, ces gens profitent de l’embrasement de discordes disparues depuis longtemps, un égoïsme désespérant les pousse à l’agression alors qu’ils devraient essayer la charité : des Bramines n’ont pas besoin de républiques, contrairement à ces scélérats sans vision ni vrai courage. Ceux qui ne proposent rien: pas d’idées, pas de confiance en soi, vivant dans le passé, craignant l’avenir, capables de frapper mais pas de penser, des griffes en guise d‘ongles, corrompus, tachés de sang.

Brecht a écrit que la pauvreté est un pays en manque de héros, à quoi on pourrait ajouter :

insensé le pays qui tolère des héros auto-proclamés, en particulier lorsqu’ils n’ont rien de tel. Comme lorsqu’ils se livrent à une forme dépravée d’affirmation de soi : le racisme, ou mieux dit la lutte des sub-espèces, puisque nous formons tous une seule race, tout ceci n’étant qu’un toi-dehors-isme tout comme l’usage d’un certain langage l’est trop souvent.

Finalement que sont donc distinction et tradition donc sinon une forme de mise à l’écart ? Peau, drapeau, costume ou mots comme autant de signaux pour dire non pas « c’est moi » mais « c’est à moi ». Il vaut donc mieux que les traditions profondes soient conçues pour s’éteindre progressivement, d’abord pâles et pittoresques, puis risibles ou praticables… en privé. Après tout, les chiens urinent pour délimiter leur territoire mais l’urine s’évapore rapidement et éventuellement perd son odeur, si bien que les territoires canins changent régulièrement, sans nécessité d’agression calculée, brutale ou passive de la part de l’animal. En termes de politique humaine l’avenir appartient inévitablement à une administration territoriale beaucoup plus souple mais ne se concrétisera que lorsque nous aurons atteint un large taux d’harmonie et de concorde. Peut-être les Romantiques, les Traditionalistes, les Conservateurs, les Loyalistes, quel que soit le nom qu’on leur donne, frémiront-ils à cette idée, mais d’ici quelques courts siècles les gens riront ce ces vieilles traditions absurdes d’armée et d’état, de censure, d’interdits ancestraux et d’origine sanctifiée. Une fragmentation pacifique, mature et éclairée, est encore bien loin, mais les circonstances globales en feront un jour un but irrésistible. Cette fragmentation politique est de toute beauté et signifie que nous avons enfin atteint la terre promise et que nous y sommes arrivés… par nous-mêmes.

Nous avons tous cherché une forme de permanence confrontés que nous sommes à l’extinction sans avertissement, comme n’importe quel misérable insecte. Mais recourir à un système de classe pour protéger ses fesses est une option plutôt primaire. Trop souvent la pensée conservatrice et républicaine a évolué en pensée conformiste, encourageant fortement le statu quo plutôt qu’une authentique réflexion conservatrice progressiste dont l’essence est de séparer le bon grain de l’ivraie à partir de générations d’apprentissage. Créant un type de conservateur qui s’accroche farouchement à ce qu’il a et bien éloigné du concept originel de préservation dans l’unité. Des gens dont la devise non-déclarée « I’m all right, Jack » se transforme rapidement en « Si nous avons tout, cela signifie que quelque chose ne va pas chez vous » devenant aussitôt « Désolé, mais il semble bien que les choses doivent être ainsi » finissant, en beauté, par « La tradition sacrée le démontre ! »

Bien sûr, toutes ces formules sont bonnes à mettre dans le sac de la ‘Vérité Consacrée et néanmoins Grotesque’ que remplit constamment la nivelante déraison humaine et devraient être éradiquées car quelque soit la définition qu’on en donne bien peu de choses sont véritablement sacrées. Des choses comme l’Honnêteté et la Compassion peut-être. Pourtant, soyons clairs : nous avons définitivement besoin de protection, mais seulement de nous-mêmes. Nous avons besoin de soins et donc des impôts doivent être levés et des services fournis ; mais, bien que nous en ayons besoin, que ces percepteurs, gardiens, penseurs, panseurs/soigneurs, porteurs exaltés, tout comme les embaumeurs, devraient être tenus à leur place au lieu de nous imposer sauvagement leurs frontières, leurs rites, leurs règles et leurs méthodes.

Tradition signifie communément une ségrégation plus ou moins subtile ; le glacial dédain n’étant que sa forme la plus stupide. Mais revenons-en à l’aplanissement du paysage social général : décentraliser par harmonisation sommaire, permettre l’échange fluide des différences au lieu de les renforcer ou de les idéaliser. Des regroupements de personnes, pas le durcissement des frontières, le retour à de plus petits composants et à des contrées au statut intermédiaire gouvernées souplement, une fédération Kantienne de cités-états dans le style ancien des Grecs, des Italiens ou des Allemands. Allez ! Dans à peu près un siècle, lorsque la pensée politique aura mûri laissez le Québec s’en aller, tant que Québec City disparaît aussi. Et tout le reste de nos autorités politiques peuvent glisser jusqu’au bas de leurs pentes pyramidales : les seuls ennemis collectifs sont la pauvreté, la maladie, le crime. De même pour ces conflits persistants des Tamouls, Papous, Basques, Corses, Cachemiris, et tant et tant d’autres groupes : autant de problèmes âpres, complexes, immenses dont la meilleure solution doit résider dans leur atomisation, la fission de l’atome libérant d’immenses quantités d’énergie positive.

C’est pour apporter la sécurité qu’on a conçu de bien délimiter un territoire(ou un terrain) mais sa défense génère un sentiment permanent de trouble et d’insécurité qui rend nos voisins particulièrement nerveux et, tant que cela dure, nous ne serons jamais vraiment en sécurité. Un vrai cercle vicieux. Aussi étrange que cela puisse paraître nous devons donc d’abord nous battre pour la sécurité de l’autre et non pour la nôtre. Par exemple, la doctrine américaine courante est en train d’évoluer judicieusement de la réponse à une agression par une agression d’autant plus considérable au concept selon lequel « notre sécurité n’est pas simplement fondée sur des sphères d’influence ou un quelconque équilibre des pouvoirs, la sécurité de notre monde se trouve dans l’avancée des droits de l’humanité ! » Totalement juste sauf pour deux faiblesses collatérales : l’une que cette certitude est évidente pour une poignée d’experts et d’analystes mais mal expliquée au citoyen lambda et aux gars du café du commerce, l’autre que cette pénétrante vision nécessitera non pas un, mais une trentaine de Présidents partageant les mêmes vues. D’autre part, ce qui n’est pas commencé ne verra jamais le jour ; les horribles inégalités qui sont le produit de gouvernements locaux parfaitement honteux devront être combattues par la communauté mondiale au nom d’une sécurité universelle et non partisane.

En fait, tout ceci revient à œuvrer à aplanir les eaux culturelles publiques et privées du monde, à ne pas vénérer des habitudes dévastatrices. La meilleure eau est douce et relativement tempérée, la plus sublime démonstration de la gravitation. H2O doit être pure, pas dangereusement profonde, bien oxygénée, bercée d’un courant discret. Rivières et lacs d’idées, d’attitudes, de préceptes et d’interdits coulant des uns aux autres sur l’éventail complet de ce qui est. Et ceci signifie que beaucoup des traditions « raides » ont besoin d’être aplanies, elles aussi. Elles n’ont rien de drôle, et, comme je le répète, finalement potentiellement meurtrières. Comme le sait bien le paon, le plumage peut et doit être déployé avec charme.

Du point de vue individuel quelqu’un qui manque de confiance en soi finit toujours par croire en quelque chose ou quelqu’un d’autre d’une manière excessive. Une fois de plus, la clef c’est l’individu : la personnalité est là où commencent réellement la maîtrise et l’identité. Pas à partir de valeurs artificielles défraîchies, en faisant en sorte que le seul système capable de survivre à ce millénaire sera celui qui reconnaîtra que, même si aucun homme n’est une île, chaque homme est une Nation, la base des seules supériorité et identité valables, la seule distinction acceptable. Mais seulement si cet homme-nation s’administre correctement, se dirigeant lui-même avec une parfaite maîtrise. De ce point de vue il est bien plus sain d’arracher des racines que d’en hériter, en appelant instinctivement à ces quotités terriblement ambivalentes : tradition couplée au droit d’aînesse.

Il y a très peu de nouveauté sous le soleil, ce n’est pas une nouvelle doctrine ; les religions orientales reposent fortement sur l’harmonie et le développement intérieurs personnels tout en encourageant la discipline et le sens communautaire, mais nous pouvons nous passer de l’élément collectif puisqu’il nous ramène à l’idée de centralisation et le probable abandon de la responsabilité individuelle. De toute façon, rien de ceci n’a empêché des nations essentiellement bouddhistes comme le Japon, le Cambodge, la Chine, la Corée, le Vietnam de s’engager dans des massacres pendant des années y compris des équipées militaires et doctrinaires des plus abjectes. Le concept de souveraineté individuelle n’a rien à voir non plus avec l’anarchie et en tant qu’idée n’est pas invalidée par ce qui s’est produit dans tant de cultures croyant profondément dans ces valeurs d’harmonie et de force intérieure mais échouant tragiquement dès que le concept de frontière se met à dominer. L’idée n’a simplement jamais été appliquée dans toutes ses conséquences politiques universelles par lesquelles l’impact de l’état, la frontière, la loi et la tradition partisane doivent être réduits au minimum dans un monde adulte, mature et confiant où tout est sujet à échange.

Le plus grand problème de la ‘Terra Patria’ est qu’il y a encore trop de ‘mondes’. Un des produits dérivés de la globalisation actuelle est la réapparition massive non seulement du bien mais aussi du mal et du malheur. Un endroit où non seulement la maladie et le désastre qu’on croyait avoir éradiqués redressent la tête mais aussi où des dispositions et des esprits médiévaux se retrouvent en concurrence avec celles et ceux technologiquement et moralement plus avancés du XXIe siècle et sont susceptibles de refus primaires et irraisonnés et de fournir des solutions rapides mais irréfléchis (c’est-à-dire violentes) pour au moins deux autres siècles. (Aristote, où étais-tu lorsqu’on avait le plus besoin de toi, pour propager tes enseignements aux inexorables conclusions et conséquences ?). D’autre part la nature enseigne que les opposés doivent fusionner et qu’un jour toutes ces différences seront dépassées. Fusion veut dire changement et tout biologiste sait que sans changement la vie s’étoufferait. Cependant, l’excès par définition et comme déjà mentionné, génère le désordre : une migration incontrôlée et déséquilibrée ne fonctionne pas pour qui que ce soit et lorsqu’une zone devient plus attractive il devrait y avoir une sort de code social prescrit, des références en termes de respect et de bon sens pour l’émigrant. Afin de protéger cet habitat un serment universel devrait lui être demandé qui stipulerait quelque chose comme ceci :

                               

                                  Gagnez, Apprenez, Rentrez !

            - faites vous inviter, n’entrez pas par effraction, les intrus ne vont pas loin

              - après avoir été introduit, ne faites pas que prendre : participez

              - vous n’êtes pas en position de critiquer la nation où vous êtes entré, si vous n’arrivez pas à vous intégrer, restez chez vous ! Soyez loyal et acceptez inconditionnellement les mœurs de la société qui vous a accueilli. Vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Et quoique vous fassiez, ne dépassez pas votre temps de séjour, les invités sont comme le poisson, après un certain temps ils sentent, dans ce cas cinq ans

              - comprenez d’où viennent les plus hautes valeurs de votre nouveau monde, emportez les chez vous et commencez à les pratiquer. Travaillez-y, ne vous contentez pas de les faucher, cela a pris des siècles à d’autres pour construire ce que vous avez trouvé

              - éduquez les vôtres

              - si vous dites accepter mais n’appliquez pas ces points, vous et les vôtres serez automatiquement expulsés pour grave manque de respect en abusant de votre droit démocratique... entreprenant des actions considérées hostiles et contraires à lui

De sorte que la migration, comme dans nombre de professions, se fasse sous forme de stage. Finissant par produire richesse et santé véritables dans les pays d’origine et par éliminer des dons décriés. Ou, comme l’économiste politique Peter Bauer l’a identifié, le don (grandement improductif) d’argent par des pauvres dans des pays riches à des gens riches dans des pays pauvres.

En fin de compte, beaucoup de controverses qu’affronte l’humanité débutent au sein de la famille. Beaucoup de bien mais aussi beaucoup de cruelle ignorance y germe. En fait, une persistante tradition ancestrale est souvent une impitoyable effraction continue de l’intimité et une incessante, pour ne pas dire perverse, épreuve de loyauté. Rapide, facile et ancienne principalement parce qu’une justice brutale signifie seulement que rien n’a été appris, aucune sagesse enrichie, la tolérance estimée comme une marque de faiblesse plutôt que de force. Tout comme les nations devraient l’être, les familles libres et solidaires sont les plus heureuses. C’est pourquoi, en dernier ressort, nous devons nous faire face et suivre les édits de notre cœur, pas ceux d’une coutume artificielle. Et la vie en communauté est très semblable à la conduite d’une voiture, en particulier par ses incidents dus à la simple stupidité. Par exemple, tester le Q.I. d’un futur conducteur avant de lui confier un volant devrait certainement réduire les accidents mortels de 90%, mais que fait-on à propos des différences de Q.I. ? Et bien, premièrement, ne laissez pas conduire ceux qui n’y entendent rien, sous aucun prétexte, que ce soit une voiture ou une société. Deuxièmement, faites leur suivre un enseignement clair en particulier sur l’évaluation résultats finaux de méthodes mal conçues. Telles qu’une conduite rapide  et le dépassement de voitures dans une courbe sans visibilité, encore que construire des voitures plus lentes (plus propres) et supprimer des courbes à deux voies sans visibilité serait aussi une preuve d’intelligence. Ce n’est qu’une métaphore, mais vous voyez ce que je veux dire.

Un degré de Q.I. raisonnablement développé révèlera donc souvent que des traditions même apparemment sans danger sont des rites de confirmation et qu’une constante confirmation par définition traduit un besoin de surmonter un profond sentiment d’insécurité. Ce qui se résume à ceci : si nous éprouvons un profond besoin de tradition, au point d’évoquer la défense de ‘notre’ style de vie, il y a les plus grandes chances que nous soyons en train d’outrepasser les limites de ce qui est raisonnable pour d’autres, provoquant des troubles manifestes, menaçant à long terme de remplacer confort et respect par haine et danger. De sorte que nous devrions apprendre par un apprentissage spécifique que notre pittoresque ‘tradition légitime’ peut facilement ressembler à un ignoble geste d’agression (passive) et en tant que tel ferait mieux d’être simulé, dans le domaine privé, de manière inoffensive, un jour où nous n’avons rien de mieux à faire.

Il vaut mieux se procurer son plaisir solitaire, parfois hypnotique derrière des portes closes, dans un bain chaud ou derrière une meule de foin. Néanmoins, si les désirs de nationalité et de tradition persistent c'est le signe d’un degré de puérilité encore actif qu’il faudrait surveiller sévèrement... en particulier dans les adultes.

 

 

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