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Non, ce n'était pas mon premier récital, je suis toujours un peu timide. Et parceque j'ai trois mains mon interprétation était sans égal, comme d'habitude...

 

Essai Philosophique

 

HUMOUR, RIRE, SILENCE

(Humour, Laughter, Silence)

 

sous-titre: Le Véritable Messie

de

Anthony Steyning
Janvier 2006 - Inédit

Traduction de Raphaël Loison

 

 

Jean Fanchette, médecin, poète et éditeur, familier d’Henry Miller, intime d’Anaïs Nin et de Lawrence Durrell, est l’auteur d’un court traité sur l’humour. Truffé de citations de Freud et de Jung, car sa spécialité était la neuro-psychiatrie, quoi que ce terme puisse recouvrir.  Il m’envoya une version préparatoire de ces idées sur le sujet, je me souviens qu’elles étaient passionnantes mais très mécaniques ; pas une seule plaisanterie.

 

Jean, lui dis-je dans ma réponse, comment peut-on parler d’humour et être aussi peu drôle, au nom du ciel, détendez-vous. Je n’entendis plus jamais parler du talentueux docteur. A l’époque j’étais à New-York et lui à Paris, des lustres avant le courrier électronique, et j’appris des mois plus tard que durant la semaine où je lui envoyai cette note, il avait succombé à une crise cardiaque.

 

Bien que rarement, il est arrivé à l’homme d’améliorer la nature dans un certain nombre de cas particulièrement sensibles. Songez au talon aiguille, ne rend-il pas certaines femmes tout simplement divines ? Chérie, j’adore tes formes, et je sais que tes chevilles et tes orteils te font mal, mais porte les pour moi encore une fois ! Et puis il y a aussi l’alcool, quelle délectation cela peut être, mais je doute fort que la nature ait prévu l’ébriété à son menu ! Et la musique, ah la musique, quelquefois barbare mais généralement divine, hypnotique parfois, pensez au Boléro de Ravel ou au lied de Schubert ‘Gretchen am Spinnrad’, la pauvre petite devenant progressivement folle au rythme du rouet, du moins c’est ce qu’il évoque, et malgré cela tellement, tellement beau. Vraiment, que ferions-nous sans les créations humaines ? Et avant tout l’humour en le préservant de la science si la psychanalyse du Dr Fanchette peut être baptisée ainsi. Car il est certain qu’elle n’est pas exacte alors que l’humour l’est : tranchant, incisif, explosif de précision à son ultime degré.

 

Je ne dois donc pas faire la même erreur que mon cher ami, je dois être à la fois sérieux et drôle. Mais avant de continuer vérifiez s’il vous plaît dans le dictionnaire Humour, Rire, Comédie, etc… et vous verrez que vous n’en serez pas plus avancé : il ne vous dit rien, ses définitions sont bien pauvres. Il est en effet diablement difficile de caractériser l’humour, mais si tous s’y mettaient les dictionnaires seraient plus précis et les sociétés dans leur ensemble s’en porteraient peut-être mieux. Surtout une fois que l’humour serait devenu une matière obligatoire à l’école ; non pas l’école pour garnements, mais une part certaine et formelle de tout cursus officiel. Certains enfants n’ayant jamais appris à rire librement, ouvertement, joyeusement en brefs et généreux éclats libérateurs.

 
Non pas que nous devrions tourner tout en ridicule, l'anarchie n'est pas la réponse. Rien de gratuit, de vulgaire ou d'injurieux non plus, simplement mettre le doigt sur des anomalies et en particulier des justifications qui ont tendance à se fixer dans des recoins profonds et dérobés. De fait, soi-même devrait être l'origine de tous les rires ; se prendre trop au sérieux est une puissance très restrictive. Si bien que peut-être, seulement peut-être, des terreurs comme Hitler, Staline, Mussolini, Franco, Salazar et consorts ne seraient pas arrivés si loin, ni si vite. Ou mieux encore seraient arrivés moins loin, freinés par leur propre jugement ou plus probablement par les foules hurlant de rire au bon moment jusqu'à ce qu'ils s'éclipsent sous un silence dévastateur. Car il n'y a rien de plus tragi-comique qu'un fou cruel qui a une vision, en particulier lorsqu'il a miraculeusement réussi à détenir une position où il peut mettre en pratique ses fantasmes. Tout cela parce que l'humour, plus que tout, surprend et dissout les contre-vérités. L'humour est la pression qui mène au diagnostic. L'humour prescrit parfois de douloureux traitement avec le soutien de puissants analgésiques, guérissant à la fin ce qu'il peut, encourageant l'honnêteté, sanctionnant les mensonges. De fait, l'humour est plus qu'un médicament, l'humour est une chirurgie préventive que craignent ceux dont les idées sont irrationnelles, destructrices, les crapules. Crainte bien fondée comme le conçoit Orwell qui fait de chaque plaisanterie une légère révolution !

Le rire est l'expression physique de cette dépressurisation, le sonore échappement de la protestation, le doux départ de la souffrance. Il force les yeux à s'ouvrir et le courage à s'épanouir. Dans cet ordre d'idées, ne vous inquiétez jamais de ne pas avoir le droit de vote : un rire de refus est très efficace, en particulier si ce vote n'avait pas de sens. Riez à la face de fou qui se cache derrière, faites lui sentir qu'il est plus petit que petit, ce qu'il était bien avant que vous ne vous en rendiez compte. Ne jetez pas de cocktails Molotov et des pavés, ne brûlez pas des voitures, simplement rassemblez vous dans la rue et marchez jusqu'aux portes de la cruauté et de l'incompétence et éclatez de rire bien fort avant de passer à votre encore plus tonitruant silence. Le pire effet de la damnation, c'est-à-dire son meilleur. Comme lorsque les soldats allemands faits prisonniers à Stalingrad furent forcés de marcher entre des rangs et des rangs de civils russes totalement silencieux alignés le long des kilomètres des rues enneigées de Moscou. Les visages muets, sévères d’hommes et de femmes ordinaires mâchant les derniers grains de volonté et de moral de ces malheureux garçons dont les jambes devaient trembler de faim, de fatigue, de la défaite et de cette effrayante humiliation, abattus pour la seconde fois par plus de cent mille regards perçants d'accusation, suivis d'une symbolique voiture-balai nettoyant leurs traces : ils étaient de la saleté et ce véhicule un messager subliminal mécanisé.

Ailleurs, dans un de ses ‘Journaux d’Afrique’, Graham Greene mentionne une autre manifestation de rejet dont je fus aussi l’objet lors d’un séjour au Libéria il y a quelques années : les hommes montrent du doigt leur pénis exhibé comme un signe de mépris lors de votre passage devant eux, un message rapide et clair. Alors pourquoi ne pas rire et exhiber votre queue dans les rues de la colère, pointant le problème du doigt, tapant l’épaule de votre compagnon dans une franche hilarité avant de vous détourner et vous éloigner. Comme vous le voyez, c’est bien plus fort que de voter avec ses pieds. Dans la tête des malades du pouvoir je vois poindre rapidement l’idée de ce décret : il est interdit de rire !! Mais comment l’appliquer, même un juge peureux, corrompu aurait du mal à condamner plus facilement qu’avant !? Accusé de rire dans la rue ? Diable ! Inconstitutionnel ? Comment ? Séditieux ? Pourquoi ? Pas de poing levé, pas de machination pernicieuse, des manifestants, riant aux éclats, immobiles, d’un seul coup silencieux et s’éloignant paisiblement ! Plus tard, devant le juge : « Nous étions tout simplement heureux, Mr le juge ! » Le juge s’écriant : C’est impossible, mais que puis-je faire ? Interdire le bonheur, appeler l’armée pour le combattre ? Il vaudrait mieux en référer aux instances suprêmes : Que dites vous ? Vous ne pouvez pas l’accepter, Votre Excellence ? Et que souhaitez-vous y faire, si je puis me permettre, Monsieur ? Faire fusiller les sarcasmes ? Quelqu’un peut-il m’identifier la cible ? Désobéissance civile, est-ce bien ça ? Mais tout fonctionne à merveille. Comme toujours… à merveille, mais misérablement. C’est vous qui avez dit ça, Votre Excellence, et ça ressemblait à une petite plaisanterie. Mais vous venez juste de donner vous-même des ordres aux généraux de fusiller toute personne ou toute chose amusante, et pourtant votre dernière remarque était très, très drôle… Messieurs les généraux, que faites-vous ? Messieurs les généraux, pourquoi tirez-vous sur Son Excellence, le Chef d’état? Il est supposé être la Nation et on ne peut pas fusiller la Nation ! Messieurs les généraux ...?

 

Ca vous rappelle quelque chose ? quelques récents Présidents déchus ? Roumanie, Yougoslavie, Irak ? D’autres encore, vous espérez ? Et bien, au lieu d’applaudir trompeusement les grands, essayez le rire de masse là où ils se déplacent, leurs défilés, leurs balcons, leurs galas. Ca ne peut qu’accélérer l’initiative.

 

Dans d’autres domaines une dérision bien dosée peut se révéler utile face à ceux qui, malgré les travaux de Gould et de Dawkins, ont du mal à accepter l’idée que les oiseaux sont les descendants des dinosaures. Que les plus aériennes de nos créatures sont une évolution des êtres les plus incroyablement lourds, réduisant au cours du temps leur poids et leur taille jusqu’à pouvoir voler. Certains ont le sentiment intense qu’il n’en fut pas ainsi. Des gens qui persistent dans l’idée que toute existence a débuté il y a 6000 ans et que les oiseaux ne sont le résultat d’aucune évolution. Des adversaires dont le sens de l’humour doit être tout aussi restreint me poussent, jouant leur avocat du Diable, à tenter ce brocard. Quelque chose dans ce genre : bien sûr que les dinosaures ont disparu, c’était inévitable ! Et ce n’est pas un astéroïde et le changement climatique qui en résulta qui en fut la cause, mais la sélection naturelle : ils étaient tous désespérément trop élaborés et n’auraient jamais du exister. Ressemblant à de monstrueuses poules pleines de cellulite à qui de monstrueux coqs amoureux roucoulaient « Hey, poulette, t’as envie de monter chez moi ce soir, je te montrerai mes joyaux… Des créatures conscientes d’avoir un problème, se cassant désespérément le cou à monter et tomber des arbres où ils apprenaient à voler. ‘Oh merde’ probablement leur dernier cri devenu sifflement à leur atterrissage ce que de vrais oiseaux s’empressèrent d’imiter. Des Béhémoths qui ne pourraient pas attraper la grippe aviaire même en essayant, mais ceci pourrait aussi être un mythe car personne n’a jamais entendu un poulet éternuer. Des Léviathans pas très malins qui, s’ils avaient survécu, auraient tenté de saillir des bulldozers et auraient donc cessé de se reproduire. Et les partisans de Gould et de Dawkins de se précipiter pour dire : Balivernes, bien sûr que les oiseaux descendent des dinosaures, regardez les œufs, ce sont des reptiles, des théropodes, regardez leurs becs, l’inclinaison de la vertèbre cervicale, cela n’a rien de si étrange. De plus… n’avez-vous jamais entendu parler d’ailes de Buffalo?* Fin de la plaidoirie.

 

Ce scénario ne retirerait rien au sérieux des sciences naturelles, sinon pour préserver leur honnêteté. C’est ce que je veux dire quand je réponds aux gens qui me demandent pourquoi j’ai baptisé mon cheval Humphry** : bande d’andouilles, parce que ce n’est pas un chameau, voilà pourquoi ! C’est aussi un jeu, un jeu équilibré, et admettre que, parfois, démontrer un peu de fantaisie et d’incertitude fait du bien. Force et convictions peuvent se révéler illusoires et que ce moyen est le seul qui peut confirmer qu’ils ne le sont pas. Mais ne vous méprenez pas, je souscris pleinement à ce que des gars comme Gould et Dawkins avaient et ont à dire et j’admire beaucoup leur courage et leur ingéniosité, mais s’ils pouvaient se fendre d’un sourire de temps en temps : ils auraient moins d’ennemis.

 
En science, comme en religion, en philosophie, en politique, et même en art il manque souvent une dimension ludique ainsi qu’une forme de générosité envers la théorie, le sujet, le public. A l’opposé de ces jeunes femmes avisées de la tribu Bororo du Niger. Leurs prétendants doivent participer à une fête cérémonielle où ils doivent se mettre sur leur 31 et danser, arborer un maquillage extravagant et faire des grimaces afin de gagner la main de leur promise. Car, pour elles, l’homme digne de ce nom est celui qui sait faire sourire et rire une femme et non d’essayer de prouver sa virilité par une quelconque démonstration de masculinité brute; pas mal pour une tribu du désert, non? Ne ricanez donc pas de l’ironie de Dada ou des Ballets Trockadero de Monte-Carlo qui font parader avec panache des poupées du Bronx : fantaisie égale création, élargit le champ de conscience, réjouit le cerveau et les sens. Voyez l’incroyable génie de l’enfant en croissance ; les tentatives et les disciplines rigides cachent trop souvent autre chose. D’autre part, les meilleurs comiques sont abominablement sérieux et pour ceux qui pensent que le Messie est une plaisanterie: et si l’humour était... le véritable Messie?

Alors place à l’humour, à la légèreté et au rire, sauf en cas de pure facétie ou cruauté, qui n’ont plus rien à voir avec l’humour. Ce qui compte est ailleurs, ce qui compte c’est que le véritable humour est une étreinte, un amour authentique pour ce qui est beau et juste. Et même lorsque nous éjectons un mauvais acteur de la scène à coups de tomates et, pour rester dans le registre alimentaire, que nous lui crachons le morceau, n’est-ce pas pour empêcher sa pulsion d’auto-destruction ?

 

Oui, Ollie, les zèbres ont la bite rayée, maintenant, endors-toi.

 

* Buffalo ne correspond pas au Bison, mais à la ville de Buffalo. Les ‘Buffalo Wings’ sont de simples ailes de poulet que l’on trouve sur le menu de beaucoup de restaurants populaires en Amérique. Comme argument ici donc complètement et délibérément dérisoire.

 

** En anglais le nom Humphry sonne comme ‘Hump Free’, sans bosse, et un cheval peut être qualifié de chameau sans bosse.

 

 

 

 

 (Section: Essais)

 

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