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Essai Politique

VERITE ET MENSONGES

(Truth & Lies)

par Anthony Steyning
Inédit Janvier 2006

Traduction de Raphaël Loison

Sous-titre:


La tromperie de Leni

 

 

Lorsque d’infâmes dirigeants s’arrêtent pour regarder le complet désastre qu’ils ont infligé à leurs sujets et à eux-mêmes et baptisent cette vaine défaite de jour glorieux, de moment béni par la victoire, la dérision nous mène au mépris. Notre mépris est justifié quand, après avoir finalement été inculpés, ces mêmes dirigeants se qualifient de victime ou de martyr, eux-mêmes et non les centaines de milliers de pauvres, pauvres imbéciles qu’ils ont assassinés de sang-froid. Incrédules, nous découvrons des républiques démocratiques populaires aussi démocratiques qu’un goulag et populaires autant que la lune appartient à Freddie, le gars du coin de la rue. Quotidiennement nous écoutons sans y croire les présentations mensongères de produits prodigieusement inutiles mais générant de rapides profits. La liste est sans fin, politique, commerce, religion, sport, arts, à la guerre comme en amour : le bobard permanent.

 

Le mensonge ne donne pas la liberté. Il réduit en esclavage. Je ne parles pas de petits et pieux mensonges sociaux. Mensonges et subterfuges peuvent être gravement funestes, mentir devenant si endémique dans certaines sociétés que leur caractère national original en est dénaturé. Des régions où la vie avait ou a si peu à offrir que le mensonge d’agression ou de défense est devenu le seul moyen possible de dialogue quotidien, ou est-ce à cause du mensonge envahissant qu’elles sont devenues invivables ? Dans les rues ce qui est mauvais est qualifié de bon, ce qui est laid qualifié de beau, plus rien n’est vrai : les enfants mentent à leurs aînés parce que les aînés mentent à leurs enfants, et les hommes aux femmes, les femmes aux hommes, et même les femmes aux femmes et ainsi de suite, tout cela nourri par une presse sous contrôle, tout aussi fausse et au service d’un idéal misérable : le cambriolage de l’esprit, l’appropriation de la réalité, le moyen le plus sûr pour faire de la vie un enfer. Le mensonge devenant nécessaire à la survie, d’où des luttes constantes et désespérantes avec écrans de fumée, des fantasmes et des dénégations. Mentir pour survivre uniquement parce que tous et chacun font la même chose, prétendant être fiers, heureux de vivre, démontrant le patriotisme par la haine, le ressentiment et la suspicion de l’autre, de l’étranger, effrayé de reconnaître ce qui est accompli par l’étranger  : hélas, trompe l’œil que tout cela. Ghetto violemment reconnaissant à un Dieu toujours bienveillant à ceux qui ont déjà tellement plus. Phénomène de bien mauvais augure plus connu sous le nom de « se faire des illusions », d’autant que durant le siècle dernier il est devenu clair que le degré de souffrance d’un peuple est directement proportionnel à sa capacité de tolérer un mensonge.

 

Nous connaissons toutes les absurdités que véhiculent le concept du péché originel, mais ne serait-il pas plus sain de nous inquiéter du mensonge originel ? Comment tout cela a-t-il commencé ? Entraînant le monde vers le mal, causant tant de souffrance ? Car c’est le mensonge originel qui est un péché, répété, innocemment ou non, à satiété, un des plus imprudents et démoralisateurs. Alors que certains diraient, mais je ne sais plus ce qu’est la vérité. C’est pourtant si simple : la première vérité de ce monde est que les mensonges existent, aveuglent et prédominent. Et alors qu’une vérité absolue est transcendante, ouverte et aussi vaste que l’espace, les mensonges sont spécifiques, étroits et strictement humains sous toutes leurs formes. Mensonges officiels, pieux mensonges, satanés mensonges, mensonges éhontés, mensonges par omission, aucune différence : y croire est une preuve d’auto-dénégation qui, en soi, est une sorte de défaite, de manque de courage. Le non pas être responsable en aucun moment, le ne le jamais avoir fait, le non pas être coupable de quoi que ce soit. S'en fuir, toujours s'en fuir, ne pas admettant la vérité avec orgueuil. Et le grand problème que les mensonges officiels, particulièrement soignés (cohérents, organisés), sont aussi particulièrement séduisants : ils prétendent protéger, mais finissent plus probablement par vous tuer. C’est ce qui en fait des mensonges et si vous avez des difficultés à les reconnaître mieux vaut vous procurer un chien renifleur entrainé à ce propos.

 

Tous ces exemples de suprême et totale trahison physique et morale, où les lois sont détournées, les idéaux pervertis, où la justice ne fait que condamner et jamais n’acquitte. Quand il a été largement prouvé que seul l’équilibre peut accorder un sens à la vie de tous, un lieu où la justice demeure. C’est alors, dans le temps qui sépare la faim et sa satisfaction, la soif et son assouvissement, que l’homme peut véritablement vivre, dans cet espace parfaitement équilibré, aussi bref soit-il, passant ses plus brillants instants. Bien sûr, la vérité est fugace, parfois difficile à saisir, mais seulement parce qu’elle est autonome ; c’est le mensonge qui soutient la fausse promesse de l’instantanéité et de la permanence. Il est certain qu’il y a une injustice naturelle dans la manière dont sont distribuées la santé, la beauté, l’intelligence et celle dont les tsunamis frappent aveuglément. Mais l’humaine injustice purement gratuite est la plus ignoble de toutes, en particulier lorsqu’elle s’exprime par d’insidieux mensonges. Un mensonge n’est qu’un imposteur : un scorpion qui se fait passer pour un charmant caméléon, changeant de couleur au gré des circonstances, mais qui tôt ou tard, darde sa longue, souple et mortelle langue.

 

Seule la vérité peut apporter sécurité et légitimité, tout simplement parce que la vérité est, c’est-à-dire de l’ordre de l’essence, alors que les mensonges sont de l’ordre de l’existence. Pour illustrer comment les mensonges mènent à l’incompréhension, puis à la haine et l’oppression par la distorsion et l’irrationalité, voyez l’abus des termes employés par la philosophie moderne : c’est le mensonge, par ses promesses, sa séduction, qui peut être qualifié de ‘nihiliste’ ou d’‘absurde’, pas l’attitude ou l’interprétation de quelqu’un vis-à-vis de l’existence. Avant tout parce que, par définition, absurdité ou nihilisme, c’est-à-dire la négation de l’ici et maintenant, ne peuvent pas être, à moins d’aller ramper et de rester pour toujours dans un trou noir pour démontrer leur argument. Mais à la minute où quelqu’un demande un verre d’eau, ce quelqu’un n’est plus nihiliste : impossible d’être nihiliste et d’attraper le bus de huit heures, de prendre son petit déjeuner de deux œufs sur le plat et d’aller quelque part. En outre, suggérer que l’existence sans foi n’a pas de sens est une contre-vérité : le fait que, croyants ou mécréants, nous demandons à boire et à manger procure un sens existentiel en soi et dans tout son sens. Sur un autre plan, tromper délibérément en mésemployant des termes déjà ambigus comme ‘nihiliste’ ou ‘absurde’, et les assimiler à une autre doctrine, l’athéisme, équivaut à bâtir un mensonge. Car il implique plus que ça, il implique que l’athéisme est le mal, donc haïssable, et en fait… génère la haine. Par conséquent, n’écoutez pas ceux qui soutiennent cette position et souvenez-vous toujours que seule la vérité des faits, et non une affirmation de vérité, libère ; que, alors qu’un homme en chair et en os n’est pas un mensonge, ses imaginations irréalistes, sans oublier ses étranges définitions, corrélations et ambitions le sont trop souvent. Finalement celles-ci ne sont que des utopies, le plus souvent assez absurdes, intéressées et surtout nuisibles.

 

A propos de faits bons et mauvais, de vérité et de mensonges, de l’usage dangereux des mots, j’en vois un exemple en République Tchèque que j’ai visitée récemment. 63% de la population est supposée être athée par choix et par conviction, bien qu’on trouvera rarement un peuple plus doué et plus équilibré et si peu de haine. Chez leurs voisins, en Pologne, la religiosité est à 110%, et les gens y sont aussi admirables mais pas plus honnêtes qu’ailleurs. Dans la vie quotidienne, les uns et les autres prennent ce verre d’eau et probablement des œufs sur le plat le matin, alors quelle différence font en réalité ces différentiations et ces accusations, si ce n’est qu’elles masquent la vérité, peuvent déraper, instiller la haine et que leur objectif devrait nous importer ?

 
On ne devrait donc pas faire de l'athéisme ce qu'il n'est pas et oublier la notion même de nihilisme qui n'est rien moins que fausse, et tout cela à cause de ces fameux œufs ! La vie sans Dieu n'est pas absurde pour tout le monde et la notion qu'un athéiste ne peut pas être bon est tout aussi disproportionnée que la nouvelle de la mort de Mark Twain fut exagérée. Car l'athée peut être aussi indulgent et généreux qu'un croyant ; si vous ne le croyez pas, faites un tour à Prague où des hommes bienfaisants comme Kafka, Hasek et Havel en ont fait la démonstration, ouvrant de larges fenêtres et de larges portes à la lumière, trempant leur plume à l'encre du satiriste Gogol dans l'expression de leur désespoir devant le manque de bonté, le  défaut de vérité, la tyrannie de l'éternel mensonge ubuesque de leur monde. Non pas en quête de Dieu mais plutôt, comme dans le cas de Havel, du compagnonnage intellectuel et musical d'un homme ordinaire appelé Frank Zappa. Un lieu qu'Arthur Miller décrivait, avant la libération, d'immense enterrement. Un lieu qu'il dit avoir ressenti comme effroyable parce que personne ne pouvait parler, où tout le monde mentait en permanence car le langage de la vérité leur avait été confisqué et où tous les murs avaient des oreilles. Un lieu où quelques âmes courageuses purent toutefois lui assurer que mentir était leur seule liberté... Mais Mr Miller conviendrait certainement que ceci n'est plus de l'ordre du mensonge mais d'une vérité codée. L'usage du mensonge comme trompe-l'oeil permettant aux gens honnêtes de transmettre ce qui était en jeu, de voiler ce qui devait être fait d'urgence pour renverser leur situation. D'ailleurs, il n'y a pas si longtemps, pendant la Guerre d'Espagne, l'église catholique a volontiers appuyé le massacre des gauchistes athées qu'elle craignait. Parlons-en, du mal, du mensonge, de la confusion des valeurs, de territorialité sacrée...

De toute façon, quel que soit l’étalon, la vérité ne peut avoir de degrés car elle est absolue, alors que le mensonge en a tant. La vérité c’est aussi en termes de comportement ce qu’on appelle parfois le tempérament. Le fait qu’aucun blanc n’ait proposé à Rosa Parks de s’asseoir à son côté dans ce bus ou dans un autre, que personne ne se soit proposé pour débarrasser ces frêles épaules de cette affreuse cape d’humiliation, la forçant ainsi à, calmement mais fermement, la brandir devant leurs visages détournés ; tout cela est triste et mal. Il n’y a pas d’excuse ; la vérité est globale ou rien. C’est le mensonge qui se marchande. Et ne laissez personne dire « Je ne savais pas, Je n’ai pas vu », parce que ça, mes amis, c’est déjà un mensonge. De plus, ces courageux petits pas comptent plus que d’incendier des voitures ou de lancer les maléfiques cocktails Molotov. Car la vérité est d’autant plus grande qu’elle est précise et individuelle, résidant partout. Et si on vous demande de la désigner, dites leur qu’elle siège dans le vaste espace que les mensonges ne peuvent occuper. Certains mensonges pires que d’autres, particulièrement les automatiques, ceux issus d’une volage paresse morale, de l’ennui ou d’une criminelle indifférence, de ceux qui ont amené certains à devenir inhumains c’est-à-dire, bien qu’ils respirent, déraisonnablement robotiques. Tout comme Eichmann tel que le décrit si pertinemment Hannah Arendt, d’où son concept de la banalité du mal. Mais, à ce point, il semble que le langage nous fasse défaut, car Eichmann était encore un homme, et cela signifie soudain que dans certaines circonstances, envoûté par de tragiques mensonges, il semble par trop humain… de devenir inhumain. Défaut de langage des plus tragiques peut-être, mais non moins vrai, la survenue de l’holocauste révélant une fois de plus la relation entre le mensonge froid (celui de la supériorité dans ce cas) et tout le mal qu’il peut produire, et aussi qu’une culture interdisant la vérité se condamne à finir dans l’insignifiance.

 

Il est humain de devenir inhumain, quelle terrible constatation, quels mots terrifiants. Tout comme un terme comme « l’éthique du mensonge » pourrait l’être, par manque de meilleurs mots, pour décrire la condition par laquelle une idée se doit d’éliminer la précédente (nous faisant à la fois maître et esclave, comme le remarque Camus), une description trop contradictoire pour être acceptable. Mais restons simple, ne nous égarons pas en sémantique, mais nous devons bien convenir que le mal est trop vaste pour de simples mots et qu’en même temps les mots sont les outils préférés du mal. Mots se muant en non-mots, leur sens parfois imperceptiblement déformé. Et que rien ne peut être relativement vrai, pas plus que la fille du proverbe peut être un peu enceinte : l’est-elle ou pas ! ? Que seul le mensonge se pare de nuances, l’une menant toujours à la suivante, s’amplifiant toujours, transformant les maîtres en esclaves, les esclaves en mauvais maîtres, et ainsi de suite encore et toujours recommençant. Que l’histoire a démontré combien il peut être pernicieux pour nous tous de ne pas étouffer ces nuances dans l’œuf. Les tourner en ridicule, lâcher ceux qui s’en servent pour leur réussite. Quel four ! Le plus beau des fours ! Imaginez la foule à Nuremberg quittant le stade en paradant sur cette scène Riefenstahlienne, laissant Hitler seul sous les quolibets, si bien que, plus tard, le premier tribunal des crimes de guerre n’aurait pas eu à se tenir ici !  Et cette mise en scène de pacotille inspirée d’une de ces productions de Hollywood, ou bien est-ce l’inverse ! Imaginez : « Triumph des Wassers »*, « Cypress Gardens »**, Adolf sur skis nautiques, second rôle d’une chorégraphie d’Esther Williams, ses troupes flottant, le sourire frigide, le bras levé dans le salut rigide, des éclats d’émail parsemant des bandes et des giclures de bleu flamboyant. Des palmes, des drapeaux, des bannières, des lumières vives, cette affreuse géométrie, cette symétrie délibérée, cette terrifiante uniformité, cette fulminante artificialité, cette éclairante fausseté, l’animation de ces lignes droites, tout si raide jusqu’à la moustache. Pas une rondeur, pas le moindre défaut jusqu’au bout de chaque ligne, le tout s’animant comme un uniforme mouvement d’horlogerie, évoquant progrès, harmonie, sécurité, ordre, mais, en réalité une illusion en route pour nulle part. Autrement dit, la mise en scène d’un fantasme débile avec ses maillots de bain démodés gonflés aux pommes de terre, et, ô merveille, ces stupéfiants bonnets de bain taillés exactement comme leurs casques : même coupe, même transparence, même design perturbant qui semble suggérer qu’une prise de force est plus glorieuse qu’un don. Achtung, Esther, la vie peut être courte mais toujours profonde. Tous les moyens de séduction se valent et ne sont que ça : des moyens. Encore que, dans ce cas, l’un se révèle infiniment plus funeste que l’autre, avec son envoûtante invocation de loup affolé lancé sur des masses affreusement subjuguées. Une profonde odeur de défaite encore non diffusée, encore incluse dans le bref parfum de la vengeance, fureur et gloire écervelées ! Ah, quel prodigieux sens de l’humour aurait montré cette foule en folie en le repoussant de ses huées. Dommage que ce ne se soit pas vraiment passé ainsi, que son public ne l’ait pas vu ainsi, ne l’ait pas pris pour ce qu’il était : un très mauvais acteur dans un horrible film ; avec un chapeau melon sur la tête il serait apparu comme un clone mutant de Oliver Hardy. Préparant le cruel bouffon, non pour sa célébration, mais pour sa disparition de cette pellicule que lui et Leni ont gaspillée : immonde mensonge que tout cela.

 

* en allemand « Triomphe de l’eau » pour parodier le titre du film de Leni Riefenstahl « Triomphe de la volonté » comparé aux films hollywoodiens avec la vedette de natation Esther Williams.

** Cypress Gardens est le nom d’un parc d’attractions aquatiques en Floride.

 

 

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